La collaboration entre de multiples partenaires est essentielle pour lutter contre le travail des enfants dans le secteur du cacao en Afrique de l’Ouest

Le cacao est une culture commerciale qui fournit un revenu à 14 millions de personnes sur terre. La majorité des producteurs de cacao vit en Afrique de l’Ouest, la région à qui l’on doit 70% de la production mondiale de cacao. Environ quatre millions de tonnes de cacao sont produites chaque année pour satisfaire la demande stimulée par la gourmandise de milliards de consommateurs. Au vu de l’appétit mondial massif pour le chocolat, le potentiel du cacao pour soutenir et transformer la vie de ceux qui le produisent n’a jamais été aussi grand.

Cependant, la plupart des petits exploitants agricoles au Ghana et en Côte d’Ivoire (les deux plus grands producteurs de cacao) vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins d’un dollar par jour. Ils travaillent dur et sont le dernier maillon d’une chaîne d’approvisionnement fragmentée et complexe, impliquant acheteurs, commerçants, entreprises de transport et de transformation, fabricants, détaillants et consommateurs.

Les communautés productrices de cacao, comme la plupart des communautés rurales de la région, ont également un accès limité aux services sociaux de base, comme l’éducation, une eau propre, la santé, les installations sanitaires et les infrastructures routières. En conséquence, de nombreux agriculteurs n’ont d’autre alternative que d’emmener leurs enfants afin qu’ils les aident sur l’exploitation familiale, souvent dans des conditions dangereuses ou au détriment de leur scolarité. Cette dure réalité est inacceptable du point de vue des droits de l’enfant et de plus en plus dérangeante aux yeux des fabricants et des consommateurs de chocolat.

« Dans de nombreuses communautés où nous intervenons, nous avons observé une augmentation de 20% du nombre d’enfants scolarisés »

L’International Cocoa Initiative (ICI) est une fondation à but non lucratif créée pour agir sur la problématique complexe du travail des enfants dans la chaîne d’approvisionnement du cacao. Nous réunissons l’industrie cacaoyère, les gouvernements du Ghana et de Côte d’Ivoire, les organisations de la société civile, les syndicats, les chercheurs et les communautés agricoles.

Nous mobilisons leurs diverses compétences et leurs influences pour trouver et promouvoir des réponses globales visant à lutter simultanément contre toutes les causes premières du travail des enfants, grâce à une gestion responsable de la chaîne d’approvisionnement et à un développement communautaire axé sur l’enfant. Notre expérience opérationnelle sur le terrain dans plus de 600 communautés cacaoyères et auprès de presque 100 coopératives d’agriculteurs (avec plus de 60 000 agriculteurs membres) nous a aidé à identifier une combinaison d’interventions qui apporte des résultats prometteurs.

Dans de nombreuses communautés où nous intervenons, nous avons observé une augmentation de 20% du nombre d’enfants scolarisés. Nous pensons d’ailleurs que notre modèle communautaire de protection de l’enfant peut générer une réduction de 20 à 40% du travail des enfants. Au niveau de la chaîne d’approvisionnement, notre système innovateur de suivi et remédiation du travail des enfants (SSRTE) identifie approximativement 70% des cas suspectés de travail des enfants. Ainsi, il est possible d’aider ces enfants à sortir du monde du  travail dans un délai de trois ans, avec un taux de succès estimé à 60%. Ces données sont encourageantes.

Néanmoins, le travail des enfants dans le secteur du cacao et, plus généralement, dans les petites exploitations agricoles africaines, est courant et répandu. On estime qu’environ 2,1 millions d’enfants, soit un enfant sur trois vivant dans des régions productrices de cacao, travaillent dans des conditions inacceptables dans les secteurs du cacao de Côte d’Ivoire et du Ghana. Avec approximativement 20 000 communautés productrices de cacao et deux millions de ménages producteurs de cacao à risque, l’échelle à laquelle nos modèles ont été appliqués à ce jour est encore modeste, et est éclipsée par l’importance du problème.

Changement progressif nécessaire

L’aspiration des partenaires de ICI à contribuer de manière significative et avec détermination au très ambitieux ODD 8.7 (éliminer toutes les formes de travail d’enfant d’ici 2025) requiert clairement un changement progressif au niveau de l’échelle et de l’étendue de nos efforts.

« L’industrie cacaoyère vit un moment intéressant de l’histoire, relativement récente, de la responsabilité sociale »

Nous sommes convaincus que la collaboration entre de multiples parties prenantes – entreprises, gouvernements de pays producteurs et consommateurs de cacao, société civile, acteurs de développement et communautés agricoles – est essentielle pour induire un changement au niveau du secteur entier. Reposant sur les principes de transparence et d’apprentissage partagé, la collaboration non compétitive entre les entreprises leur permet non seulement d’unir leurs compétences, leurs ressources et d’étendre leur portée collective, mais aussi de partager les risques.

L’industrie cacaoyère vit un moment intéressant de l’histoire, relativement récente, de la responsabilité sociale. De nouvelles exigences juridiquement contraignantes (par exemple le Modern Slavery Act du Royaume-Uni de 2015) et des directives volontaires (par exemple les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies de 2012) encouragent toutes les entreprises à changer la manière dont elles conduisent leurs activités commerciales, à examiner plus en détail leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi qu’ à traquer les répercussions négatives sur les droits de l’homme et de l’enfant.

Aussi, ces entreprises acceptent-elles de plus en plus l’obligation de réagir face à des conséquences qu’elles pourraient entraîner (par exemple le travail des enfants dans des usines qu’elles possèdent ou avec lesquelles elles sont sous contrat). Plus important encore, elles contribuent à trouver des solutions à des problèmes liés d’une quelconque manière à leurs activités, même si elles n’en sont pas la cause directe (par exemple le travail des enfants dans les exploitations familiales de communautés ne possédant pas d’école).

Les jours de la politique de l’autruche, qui enfouit sa tête dans le sable, sont comptés. Mais cette définition affinée de la diligence raisonnable, qui demande de plus en plus de transparence et de rapports publics, apporte des risques significatifs pour les entreprises alors que, ailleurs, les attentes pour une « conformité totale » ou une « pureté absolue » foisonnent encore. Aussi, une certaine ironie se dessine-t-elle, puisque les entreprises qui adhèrent le plus à une diligence responsable et transparente dans leur chaîne d’approvisionnement sont les plus exposées aux conséquences juridiques ou aux risques de réputation comparé à celles qui se cachent et n’agissent pas.

Notre modèle collaboratif aide à dépasser ce dilemme puisqu’en s’unissant, les entreprises bénéficient d’une solidarité et d’une force face à ce qui doit être un réel dilemme stratégique pour les responsables d’entreprises.

L’apprentissage collectif

L’apprentissage collectif que prône notre modèle permet à une entreprise « pionnière » de tester un aspect innovant spécifique. Les autres peuvent alors observer cette expérience, examiner son impact, évaluer ses retombées négatives pour enfin définir de manière collective une bonne pratique. Cette méthode est d’autant plus efficace et convaincante que, comme c’est le cas chez ICI, les acteurs impliqués dans le processus collectif d’apprentissage sont des partenaires non corporatifs, des experts de la société civile ainsi que la communauté de développement.

Notre expérience avec le SSRTE en est un bon exemple. En 2012, une entreprise a proposé à ICI de développer conjointement une méthodologie permettant de mieux identifier le travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement et de contribuer à une solution grâce à des activités de remédiation. Cette année-là, le projet a été testé en Côte d’Ivoire sur 1000 agriculteurs.

Depuis, l’entreprise a publié un rapport public sur ses progrès et a autorisé une divulgation complète des résultats obtenus et des défis rencontrés lors du forum ICI. Avec le temps, son expérience a permis à la collectivité de se rendre compte que le changement est possible et que tous les risques courus sont compensés par les impacts sociaux et par les effets positifs sur leur réputation.

« Cette aventure enthousiasmante de cinq ans, qui a commencé avec une seule entreprise et 1000 agriculteurs implique actuellement  sept entreprises et presque 100 000 agriculteurs, repose sur la collaboration. »  

Le SSRTE a été défini collectivement comme une bonne pratique et a été adopté par neuf entreprises chocolatières et cacaoyères dans leur Stratégie CocoaAction 2015. De plus, celles-ci se sont engagées à étendre la portée du SSRTE à 300 000 agriculteurs d’ici 2020. En 2017, ICI prévoit de soutenir sept de ses entreprises membres afin de guider et implanter des SSRTE dans leur chaîne d’approvisionnement en Côte d’Ivoire et au Ghana, atteignant ainsi presque 100 000 agriculteurs.

D’autres membres de ICI mettent en place d’autres variantes de SSRTE, continuant ainsi à innover, tout en incorporant leurs résultats au processus d’apprentissage collectif en cours.

Cette aventure enthousiasmante de cinq ans, qui a commencé avec une seule entreprise et 1000 agriculteurs implique actuellement sept entreprises et presque 100 000 agriculteurs, repose sur la collaboration. Il est donc d’autant plus encourageant que, parmi les nombreux objectifs de développement durable qui demandent des résultats et des changements urgents, l’ODD 17 reconnaisse le caractère essentiel des partenariats pour atteindre ces résultats. En effet, les objectifs 17.16 et 17.17 demandent explicitement le renforcement des collaborations entre secteur public et privé et entre de multiples parties prenantes.

Inclure les intérêts et les expériences de divers acteurs dans une stratégie coordonnée, efficace et efficiente n’est pas nécessairement un travail facile, mais ICI montre que cela fonctionne.

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Cet article a été publié dans le rapport “Sustainable Development Goals – From promise to practice” de l’UNA-UK le 20 mars 2017. Pour télécharger le rapport complet, cliquez ici.